De l’interdiction à la légalisation

Initiative contre l'absinthe

En Suisse, la «fée verte» est accusée de tous les maux par les sociétés de tempérance (Croix-Bleue) et les milieux concurrents de la viti-viniculture et de la production de schnaps et autres eaux-de-vie.

Trop consommée, car trop bon marché – elle a été condamnée à mort le 5 juillet 1908 et conduite à l’échafaud le 7 octobre 1910.

En 1907

La société d’agriculture du Val-de-travers, présidé par le Conseiller national Louis Martin des Verrières, s’est interrogée sur l’avenir des cultivateurs de plantes aromatiques en cas d’interdiction de la fée verte.

On aborde la question de la suppression de l’absinthe et on recommande la lutte à outrance! Des remerciements sont adressés à M. Louis Martin, conseiller national, pour sa remarquable intervention aux Chambres fédérales en faveur de l’absinthe. Le président déclare à ses amis, les agriculteurs, qu’il est partisan de la lutte contre l’alcoolisme, mais pas sous la forme de la prohibition d’une seule liqueur ! «Le schnaps devrait aussi être supprimé !» s’écrie-­t-­il avec énergie. Cette protestation résume bien l’opinion de toute l’assemblée (Jacques-­André Steudler, La société des paysans 1885-­1985, Centenaire de la Société d’agriculture du Val-­de-­Travers, 1985).

5 juillet 1908

Le peuple (241’078 oui contre 138’669 non) et les cantons (20 acceptants contre 2 rejetants, soit Genève et Neuchâtel), plébiscitaient l’insertion dans la Constitution fédérale de l’article 32 ter prohibant «la fabrication, l’importation, le transport, la vente, la détention pour la vente de la liqueur dite absinthe dans toute l’étendue de la Confédération». Ce même jour, à Boveresse, sur 146 électeurs, 144 (soit 99 % de non) repoussaient, mais en vain, ce texte catastrophique pour l’économie et la population locales (un peu plus de 600 habitants).

7 octobre 1910

Affiche de la fin de la Fée verte – 7 octobre 1910

A minuit, la loi d’application de ce nouvel article constitutionnel (du 24 juin 1910) était mise en vigueur; désormais légalement interdite, l’absinthe entrait alors, contre vents et marées, dans la phase clandestine et légendaire, voire résistante de son histoire. Car, actuellement encore, trois à quatre douzaines au moins de distillateurs non patentés continuent, au Val-de-Travers, à «faire des cuites», autrement dit à en distiller et à en vendre… à la barbe des pandores et des inspecteurs de la Régie fédérale des alcools!

Au moment de la prohibition, on estimait à 100’000 francs la valeur des terrains spéciaux et des plantations (25 à 30 ha) sis sur le seul territoire de Boveresse, où les bâtiments et installations de séchage et de conditionnement étaient estimés entre 50 et 60’000 francs. Quant au manque à gagner des producteurs d’herbages aromatiques (38 ha), il fut évalué par la Confédération, pour l’ensemble du pays, à 250’000 francs. Chaque cultivateur boveressan reçut donc un dédommagement de la caisse fédérale ; ainsi Fritz Jeanneret-Robert, l’agent de police, guet de nuit, sonneur, fossoyeur et voyer de la commune, par ailleurs exploitant d’un petit «plantage» d’absinthe, toucha une indemnité équivalant à plus d’un salaire annuel !

1er janvier 2000

Dans le contexte d’une révision partielle de la Constitution fédérale, l’article 32 ter relatif à l’absinthe a été abrogé. Néanmoins, cette «liqueur» demeure prohibée en vertu de la loi fédérale sur les denrées alimentaires du 2 octobre 1992 (article 11) et de son ordonnance d’application du 5 mars 1995 (articles 428 et 433).

10 octobre 2001

Yves Kübler, le patron de la distillerie Blackmint de Môtiers (NE), déjà producteur depuis 1990 d’un succédané de la fée verte (La Rincette), a reçu l’autorisation fédérale et cantonale d’élaborer à nouveau un véritable «extrait d’absinthe», titrant 45 % vol. et contenant 0,1 mg de thuyone/litre. Cet apéritif légal a été mis en vente le 6 décembre 2001, simultanément aux spiritueux à l’absinthe lancés à Pontarlier (Doubs/France) par les distillateurs François Guy et Emile-Gérard Pernot.

1er mars 2005

Le Conseil fédéral l’a décidé: l’absinthe est légalisée depuis le 1er mars 2005. Fin d’une interdiction vieille de 95 ans et l’attribution de patentes officielles pour un certain nombre de distillateurs.